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Mister Martin, George Martin, sorcier.

Mister Martin, George Martin, sorcier.

Mister Martin, George Martin, sorcier.

Grosse tristesse cette semaine à nouveau. Je vieillis toujours un peu plus quand un membre des Beatles s'en va. Malgré ses quatre-vingt-dix ans, c'est comme une page qui se déchire que j'ai appris hier matin la mort de George Martin, légendaire producteur de musiques.

J'ai eu la chance de le croiser, furtivement, un soir de grand froid en novembre 2006. Paul McCartney faisait la première de sa pièce de musique classique, Ecce Cor Meum, à Londres. La grande famille Beatles était presque au complet avec beaucoup de proches et d'amis comme David Gilmour, Peter Blake, Jeff Lynne.

Avant le concert, je me baladais dans les couloirs arrondis du Royal Albert Hall et je tombais presque nez à nez avec sa petite souris de femme, Judy... et lui. Ils venaient comme un couple lambda retirer leurs tickets de la liste des invités. Bref et improbable face à face avec un gentleman géant.

Médiocre photo que j'avais prise ce soir de novembre 2006.

Médiocre photo que j'avais prise ce soir de novembre 2006.

Dans les années cinquante et au tout début des années soixante, George Martin enregistrait entre autre quelques sons électroniques pour la BBC. Certains autres enregistrements sont devenus des génériques célèbres outre-manche et écoutés pendant de longues années par les auditeurs.

Relégué sur un obscur label de disques de comédies radiophoniques (Parlophone filiale de EMI), il avait surtout l'habitude d'enregistrer des sketchs ou des instrumentaux divers et variés (musiques de danses traditionnelles hongroises !). Ce fut ce grand gars de trente-six ans qui a eu le don de dire oui à un pauvre manager qui s'était vu refuser "ses quatre garçons" par tous les labels de musique de la ville de Londres. Le plus drôle c'est qu'il ne les a pas retenu pour leur talent musical : dans leur répertoire, il ne voyait pas plus de deux ou trois chansons qui tenaient la route. Non c'est le sens de l'humour des boys qui l'a décidé.

Il y a d'ailleurs cette anecdote lors de la première venue des Beatles aux Studios EMI du nord de Londres. À la fin de la session, George Martin leur demande s'il y a quelque chose qu'ils voulaient ajouter, si quelque chose n'allait pas. Du tac au tac, le plus jeune (George Harrison, dix-neuf ans) répond : "Pour commencer je n'aime pas votre cravate". La glace était brisée, ils partageait le même sens de l'humour. Grinçant avec juste ce qu'il faut de rock et de roll.

Mister Martin, George Martin, sorcier.

Dès le début, il allait être bien plus que le type derrière la vitre qui appuie sur le bouton Enregistrement. Très vite Lennon lui présente une de ses chansons, au tempo pesant et chantée à la Roy Orbison. George Martin leur suggère de plutôt en accélérer le rythme. Ce sera leur premier numéro 1, Please Please Me.

Mister Martin, George Martin, sorcier.

Après plus rien ne les arrêtera. Véritable ping-pong entre le groupe de gamins et leur adulte de sorcier. Dès 1965, ce sera des arrangements hors du commun mêlant le classique à une formation rock (guitares, basse, batterie). Mais aussi à partir de l'année suivante, 1966, des choses complètement loufoques comme des bruitages rigolos hérités des disques que George Martin avait enregistrés avec Peter Sellers et les Goons dans les années cinquante. Programmes de la BBC... que Lennon et Harrison écoutaient avidement sous la couette quand ils étaient ados !

Ce sont ces arrangements classiques et parfois truffés de sons farfelus que les fans de la première heure avaient déjà pu entendre sur les disques de Noël que les Beatles distribuaient à travers leur fan-club chaque année. Maintenant, ces petites perles ornaient des titres comme Tomorrow Never Knows, Lovely Rita ou I Am The Walrus.



Mister Martin, George Martin, sorcier.

J'ai toujours considéré George Martin comme le cinquième Beatle. Oui je sais, la liste est variée mais si tant est que le monde ait vraiment besoin d'un cinquième membre dans ce groupe, c'est assurément lui qui décroche la timbale. D'ailleurs, il a plus d'une fois mis les mains dans le cambouis en jouant lui-même, souvent du clavier, sur certains titres. L'exemple le plus célèbre est ce son de clavecin (qui n'en est pas un) sur le titre In My Life. Il enregistra une partie de piano sur un tempo lent qu'il accéléra ensuite pour pouvoir l'incorporer dans la chanson de Lennon. Sur ce lien, vous pourrez d'abord entendre, au ralenti, ce qu'a réellement joué Martin puis, à vitesse accélérée, ce solo de piano (et donc pas de clavecin !) qui fut donc inséré dans cette chanson des Beatles.

Mais voilà que je vous parle de son travail avec les Beatles alors qu'il n'a finalement passé que six, allez sept ans, auprès d'eux. En même temps ces années furent riches et magiques et j'ai encore des dizaines d'anecdotes sur sa collaboration avec le groupe.

Les années soixante-dix ne furent pourtant pas moins belles avec de sacrées aventures, en stéréo cette fois. Il travailla avec Jeff Beck, America (Tin Man !) ou encore l'hallucinant Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin. Il réalisa aussi quelques bande-sons dont celles de deux James Bond (Goldfinger de Shirley Bassey ! et aussi Live And Let Die des Wings et Paul McCartney).

Mister Martin, George Martin, sorcier.

Voilà, j'ai toujours eu une grosse tendresse et une belle affection pour ce grand bonhomme.

J'ai semé partout dans cet article des liens vers des musiques, en voici quelques autres qui sont autant de coups de cœur :

  • Son incroyable et glaçante composition pour cordes pour la chanson Eleanor Rigby. Clairement inspirée des violons de Bernard Herrmann (Psycho de Hitchcock). Ici en version instrumentale.
  • En 1966, il compose une espèce de fanfare sous acide pour un titre complètement perché de Lennon. George Martin ne prenait pas de produits hallucinogènes contrairement à ses quatre bambins mais cette version à nue de Strawberry Fields Forever peut faire penser le contraire.
  • Une petite douceur pour finir, nous sommes en 1997 et alors que sa femme est en train de mourir, Paul McCartney enregistre quelques unes de ses plus belles chansons. Celle-ci s'appelle Somedays et comme trente ans avant, c'est son vieil ami George Martin qui en signe les arrangements (en s'auto-parodiant sévèrement) et la production.