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"Il y a une résistance de notre classe politique à s'européaniser"

"Il y a une résistance de notre classe politique à s'européaniser"

Entretien avec Dominique Reynié, politologue.
LEMONDE.FR | 05.06.09 | 19h20  •  Mis à jour le 05.06.09 | 19h46


Jeudi 4 juin s'est tenu, dans le cadre de l'émission "A vous de juger", sur France 2, le dernier grand débat télévisé avant les élections européennes de dimanche. Le politologue Dominique Reynié, chercheur au Centres d'études de la vie politique française (Cevipof), regrette que les ambitions nationales des ténors politiques français dénaturent une nouvelle fois le débat sur l'Europe.



En quoi le dernier débat télévisé de jeudi est-il révélateur de la campagne française pour les européennes ?

Cette émission était tout à fait symptomatique. C'était un moment de petite politique nationale. Sur huit invités, seuls Marine le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Daniel Cohn-Bendit étaient têtes de liste. Les autres partis étaient représentés par des dirigeants qui n'ont souvent qu'une connaissance minimale des rouages européens. C'est une façon de dire aux gens : "Tout ça n'a pas d'importance, ce qui compte c'est la politique nationale."

Cette nationalisation des élections européennes est-elle aussi forte dans tous les pays ?

Ce scrutin est nationalisé dans tous les pays européens, mais la tendance est beaucoup plus lourde en France. Cela s'explique par l'importance de l'élection présidentielle, qui personnalise et nationalise toutes les élections, y compris les européennes.

Il y a en outre une résistance d'une grande partie de notre classe politique à s'européaniser. Ces mêmes politiques qui amènent les Français à s'intégrer davantage à l'Europe semblent s'épargner à eux-mêmes ce processus. Il est tout de même préoccupant que notre classe politique ne soit pas à l'avant-garde d'un mouvement historique de cette ampleur. Il est évident que ça peut susciter de l'inquiétude chez les électeurs. Où va-t-on si ceux qui nous conduisent ont l'air de ne pas vouloir aller dans la direction qu'ils nous indiquent ?

Nos partis politiques auraient pu, depuis trente ans qu'on élit des députés européens, prendre la peine de former des candidats aux élections européennes comme ça s'est passé en Angleterre, en Allemagne, dans les pays scandinaves ou encore en Espagne. Dans ces pays, on prépare des candidats qui vont devenir de bons connaisseurs du Parlement européen. En France, quand un politique relativement connu est élu au Parlement européen, il se dépêche en général de démissionner pour revenir à une activité nationale.

Paradoxalement, les partis anti-européens ne sont-ils pas les plus motivés à parler d'Europe ?

Les partis anti-européens prennent vraiment l'Europe comme un objet de discussion, pour la rejeter ou la critiquer, mais c'est en effet une façon de faire de l'Europe l'objet de ces élections. Il faut dire que la critique radicale est toujours plus facile car vous n'avez pas de comptes à rendre. Mais il ne faut pas oublier les écologistes, qui sont les plus engagés en faveur de l'Europe. L'objet environnemental étant par nature transnational, les écologistes se retrouvent beaucoup plus à l'aise dans l'espace européen.

Les partis de gouvernement ont, eux, du mal à défendre l'Europe parce que lorsqu'ils sont dans l'opposition ils remettent en cause ce qui existe pour justifier leur quête du pouvoir, tandis qu'une fois au pouvoir, ils utilisent l'Union européenne pour porter les mauvaises nouvelles.

Pourquoi le débat en France a-t-il autant tourné autour de l'adhésion de la Turquie ?

La question de la Turquie est propre à la France. On la retrouve en Autriche, en Belgique et en Allemagne, mais dans une moindre mesure. Il n'y a aujourd'hui en France quasiment plus aucune force politique, à part les Verts, prête à défendre l'adhésion de la Turquie. Beaucoup de politiques pensent que défendre cet objet reviendrait à perdre le contact avec les couches populaires, qui sont supposées être contre. Depuis le 21 avril 2002, les politiques se disent qu'il y a en France une disponibilité pour les énoncés qui tracent des frontières nettes et les discours identitaires.

Malgré la crise, la critique ambiante du libéralisme et l'usure du pouvoir, on semble s'orienter vers une victoire de l'UMP. Comment l'expliquer ?

Il faut garder une forme de prudence. Comme l'abstention annoncée est massive, il est possible qu'une variation de quelques points de la participation provoque un changement assez significatif dans la répartition des suffrages. Mais faisons l'hypothèse que les sondages ne se sont pas trompés. En France comme ailleurs, les Européens ont de plus en plus tendance à voter à droite. La gauche de gouvernement devient une exception. Le rejet de l'ultra-libéralisme dont on parle tant depuis le début de la crise ne se reflète dans aucun scrutin. Les droites en Europe ont fait des offres qui ont séduit les électeurs, on peut le regretter, mais il faut le constater. Mais l'information la plus importante de ces européennes est que le choix massif des électeurs sera de rester à la maison.







Et pendant ce temps-là Arlette s'ORTF tranquillement...