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À poil la mort !

À poil la mort !

Comme je vis avec la mort dans le viseur (désolé mais je suis comme ça), je m'étais déjà vu écrire cet article il y a quelques mois. Il y a quelques années à dire vrai.

Je préviens tout de suite que je vais déverser tout mon amour sur une boule de poils qui n'a fait que dormir, pisser, manger et chier. Si certains pensent que c'est indécent de tant aimer un animal et me balance à la gueule (tiens, la gueule ?) l'être humain... et bien il n'auront qu'à arrêter la lecture ici.

Suggestion : sortez et votez. Alternativement vous pouvez aussi aller vous faire foutre.

 

 

 

 

Toujours là ?

Notre co-locataire de chat s'est barré. Felix in the sky with croquettes.

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Je ne vous raconterai pas ici l'histoire de ce chat. Certains aujourd'hui la comparent à l'Odyssée d'Ulysse (celui de Joyce bien sûr) et seules certaines tribus perdues dans l'ouest de Bornéo ne la connaissent pas encore. J'ai la langue si pendue que sa biographie sera probablement publiée sur de l'herbe à chat dans quelques semaines. 

 

Appelez-moi morbide (c'est un joli prénom) mais parfois je m'imagine mourir, ou mourrant, sur un lit d'hôpital en Allemagne. Je ne vois pas pourquoi on s'offusquerait que je le dise car si tout va bien, c'est tout de même ce à quoi je me destine avant les prochaines années soixante. Ayant raté celles du vingtième siècle, ça me fait bien mal aux fesses de le dire mais les mathématiques font que je raterai aussi celles du vingt-et-unième siècle. Oh tant pis.

 

 

Vendredi peu avant midi, je me suis retrouvé chez le vétérinaire où j'ai repensé à cette scène futurictive. Bien sûr le chat était complètement à la merci du médecin. Prises de sang, multiples injections, petits cris et coup de colère. Alors par un terrible (et malsain je confesse volontiers) jeu de miroirs je pensais à mon bout de chemin à moi (ou à celui de mon père). Ce moment de fin vie où le tout médicalisé devient la règle. Dans mon cas, pas foutu d'avoir appris la langue de Bertolt Brecht correctement, je m'imagine comme la petite bête. Après tout, nous sommes tous des petites bêtes. Car dans ces moments-là, on ne fait que gémir et la lumière vient rarement nous éclairer tous les étages.

 

Le vétérinaire me parlait. La barrière de la langue donc (surtout ma propre stupidité et flemme d'apprendre) me donnait l'impression de regarder un documentaire médical grec avec des sous-titres polonais. Des mots me parvenaient entre deux regards sur ce qui fut ma boule de poils préférée en dehors de cette rencontre furtive mais délicieuse que j'avais faite avec une jeune Erasmus portugaise à l'automne 2004. J'entendais des mots déjà dits au printemps 2009, la même semaine. Je peux juste vous dire que reins, se dit Niere en allemand. Le reste vous l'imaginerez.

 

Felix nous avait adoptés. Et nous, comme si l'heure du rendez-vous était velu, nous lui avions fait de la place dans nos vies entre Dublin et Berlin. Je vous renvoie à un de mes tout premiers messages sur ces pages de 0 et de 1. En novembre 2008, c'est main dans la patte que lui et moi avions quitté notre île natale. Il y est né, j'y ai grandi (et grossi aussi).

Felix & I in Dublin

 

Au fil des années, on est devenus plus que des colocataires. Je dis colocataires mais il n'a jamais payé son loyer. Certes il nous a payé une bonne partie de notre chambre et une télé immense. Il y a ça de pratique avec les zanimo : comme avec nos chers défunts, on peut y projeter tous nos fantasmes. J'ai donc décidé qu'il était un cool cat. L'était-il vraiment ? Oui puisque je le décidais.

Il était mon dernier lien quotidien avec cette émeraude d'île. On papotait régulièrement sur le thème the grass is always greener. Tu m'étonnes, pour un irlandais...

Et il y avait comme toujours les rituels. Le matin, toujours trop tôt, à beugler comme un castra que sa gamelle était vide. Le soir, la porte à peine ouverte, à nous accueillir en ronronnant pour nous dire que... bah... que sa gamelle était vide. L'amour quoi.

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Et puis, being a Lennon, il aimait toutes sortes de musiques. Endormi ou presque, sur son tapis marocain, je m'amusais à nous balancer du lourd. DJ pour chat. DJ pour mon chat. Je ne connais pas beaucoup d'occupations plus délicieuses que d'avoir ce luxe lors de longues journées patachon. 

Led Zeppelin le berçait. Avec sa queue il battait la mesure quand les doigts de Nina couraient sur le piano. La plus suintante et rugueuse soul de Memphis le faisait sourire. Oui, c'est parfois un point de désaccord mais, sans jeu de mots, les chats parfois sourient. Du rock et du roll, de Brassens à la soul, il aimait tout. Un véritable juke-box poilu.

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Il y en a même qui disent qu'il avait une plus belle voix que Maria Callas. C'était faux bien sûr.

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On a eu ce très beau moment quand nous sommes allés l'euthanasier. Comme une répétition de notre toute première rencontre. En mars 2008, nous étions chez notre amie dans le sud de Dublin. Claudia s'était assise sur le canapé, dans le salon. Le chat, gros balourd de près de 9 kilos alors, est venu s'installer sur ses genoux. Les pattes agrippées et le ronronnement timide mais déjà plein d'amour. Après avoir pris une photo de la scène, je me suis mis à côté de Claudia et mes doigts s'étaient perdus dans sa fourrure. On venait de se faire catnapper.

Hier, peu avant dix heures du matin, une fois le produit (pertinemment appelé Release) injecté, nous sommes allés nous mettre dans une petite pièce trop blanche et trop lumineuse. À l'arrière du cabinet du vétérinaire. Claudia s'est assise sur une chaise. Le chat sur les genoux. De tout son corps allongé, la tête penchée sur son genou. Je me suis assis à côté. Ma main perdue sous ses poils qu'il a toujours eu si beaux. Cette fois on lui parlait tout doucement, en anglais. On lui a dit les mots magiques. Et en moins de deux minutes, il est parti ronronner ailleurs.

Mister Felix

 

 

 

Pas facile de revenir chez nous. Notre appartement et nos vies puent le vide et l'absence de ce petit animal. Il est partout, il est nulle part. Ce matin personne ne nous a emmerdé au réveil. Ce matin on s'est réveillés bien trop tôt.

Il nous laisse ses croquettes, son tapis du Maroc et des échos de câlins qui ont foutu à Claudia une migraine de chez migraine. Elle n'a pas envie de rester seule quand je vais partir voter. Et moi, pour la première fois avec succès, je parviens à jouer le mâle rassurant. Je lui dis que ce n'est rien, que ça va aller. Des mensonges quoi.

J'aurais beau me laisser pousser les moustaches, je n'arriverais pas à les avoir aussi longues et blanches que Mister Lennon. Le chat qui valait trois mille euros et tellement plus.

 

Hier une tendre et belle amie m'a dit ces mots, si justes, que je ne peux pas finir ce billet sans les citer.

"L'amour animal est inconditionnel; on partage sa vie quotidienne et des sentiments joyeux et tendres avec son "poteau animal". On manifeste, on exprime son amour pour lui comme on ne peut le faire avec un être humain. Je ne sais trop comment t'exprimer cela, mais, il y a une sorte d'innocence et de fraicheur "de début du monde" avec ces bestioles qu'on a ou qui nous ont adoptés. Avec eux, on se laisse aller aux jeux, aux câlins, aux caresses, à des roucoulades, ridicules en d'autres circonstances; ils sont doux, chauds, boules de poils-boules d'amour."

 

Je suis vraiment pris par surprise par la place dans ma vie qu'avait ce petit bonhomme plein d'amour. Et pourtant les mots que j'emploie me trahissent. Ridicule transposition d'un couple encore sans enfant. Infantilisation de l'animal de compagnie. Tiens, faudrait écrire un "Que sais-je ?" avec ce titre là.

 

En attendant, je vais me laver (sans la langue !) et je vais voter rouge. Petite chanson pour un petit gars plein d'amour. Ça tombe bien, ça s'appelle "Birds". À coup sûr, il aurait aimé.

Et à la fin, il reste le chat-grain.